Allaitement en public : une pétition inutile
Marie Annik GRÉGOIRE, Allaitement en public : une pétition inutile, Cyberpresse, 8 février 2011
Si vous êtes une nouvelle maman, il y a de fortes chances que vous ayez reçu une invitation à vous rendre sur le site de l’Assemblée nationale et à signer une pétition qui, selon ses prétentions, a pour but d’imiter d’autres provinces canadiennes et de permettre aux Québécoises d’allaiter en public.
Tout ce mouvement s’inscrit dans le contexte d’un incident où un préposé d’une boutique de vêtements pour enfants (Orchestra du centre des Ailes de la mode au centre-ville de Montréal) a menacé une mère d’appeler la police si elle ne cessait sur le champ d’allaiter son jeune bébé dans une partie discrète de la boutique.
On peut certes dénoncer un tel geste (personnellement, c’est une boutique que je ne visiterai plus jamais pour cette raison). Cependant, il ne faut pas en profiter pour colporter nombre de faussetés sur la place publique et ainsi nuire encore plus aux mères que ce simple geste isolé. C’est pour cette raison que je refuse de signer la pétition.
J’entends déjà des voix qui s’élèvent: encore une dogmatique contre l’allaitement. Pourtant, détrompez-vous! J’ai allaité mes deux enfants, souvent dans des endroits publics, tels des parcs, des restaurants ou des centres commerciaux. J’ai été présidente d’un organisme communautaire en périnatalité (et responsable de l’allaitement) dans mon quartier et j’ai préparé et donné plusieurs formations pré et postnatales pour aider les nouvelles mamans. J’enseigne même à mes étudiants de droit à l’université qu’empêcher une femme d’allaiter en public constitue une discrimination devant mener à une sanction civile.
Donc, cherchez ailleurs le manque de compréhension et de soutien à la cause. Pourtant, je ne signerai pas cette pétition pour ne pas nuire aux mères qui allaitent. La raison en est bien simple: je ne crois pas à la pensée magique. Contrairement à ce qui est véhiculé, le droit québécois protège le droit à l’allaitement en public. Une loi supplémentaire n’y changera rien. Ce qu’il faut développer, c’est la sensibilisation et surtout le support pour forcer le respect de la loi.
Nous avons au Québec, bon nombre de lois qui sont d’une précision impeccable, mais qui pourtant ne sont pas respectées puisque personne ne porte plainte. Les contrevenants jugent ainsi qu’ils peuvent agir en toute impunité pour imposer leur vision des choses.
Depuis 1977, la Charte des droits de la personne (communément appelée la Charte québécoise et à ne pas confondre avec la Charte canadienne des droits et libertés) empêche toute discrimination à l’égard des femmes. Il est depuis bien établi que les motifs de non-discrimination énumérés dans la Charte québécoise sont limitatifs, mais doivent être interprétés largement, si bien qu’à plusieurs reprises, des commerçants ont été condamnés à payer des sommes assez importantes (dans les milliers de dollars) pour avoir demandé à des femmes de cesser d’allaiter leur enfant ou avoir refusé de les tolérer dans leur commerce.
Puisque seules les femmes peuvent allaiter, une telle demande constitue nécessairement une discrimination à l’égard des femmes au sens de la Charte québécoise. Cela nous est acquis. Il s’agit d’une interprétation large, conforme à l’interprétation qui prévaut au Québec en droit civil et il n’est donc pas nécessaire de préciser davantage ce droit. Préciser, c’est aussi limiter! Il y a 15 ans, alors que la culture du biberon prévalait mur à mur, nous n’aurions pensé nécessaire d’interpréter ainsi la discrimination envers les femmes. Qui sait ce dont nous aurons besoin dans les 10 prochaines années? C’est pourquoi je n’accepte pas que l’on tente ainsi de limiter les motifs de discrimination envers les femmes au Québec.
Alors, pourquoi d’autres provinces canadiennes ont, elles, précisé ce droit particulier à l’allaitement alors que je prétends que cela n’est pas nécessaire et même possiblement limitatif en droit québécois? Nous avons, au Québec, un régime de droit particulier qui s’interprète différemment de celui des autres provinces et où l’énumération est plutôt perçue comme une limitation. La loi s’interprète de manière tout à fait inverse dans le reste du Canada.
Ainsi, dans ces provinces, la seule mention d’interdiction de discrimination à l’égard de la femme ne serait probablement pas suffisante pour protéger l’allaitement public.
Alors, quelle est la solution? Il faut se plaindre pour forcer les intervenants en position de force à respecter les droits que nous avons déjà. Dans le cas d’une discrimination fondée sur la Charte québécoise, il suffit de faire une plainte à la Commission des droits et libertés de la personne, qui par la suite, fait enquête et prend les procédures judiciaires au besoin. Il faut encourager la dénonciation. Il n’est même pas nécessaire de contacter soi-même un avocat. Il faut supporter ces femmes qui ont le courage de dénoncer la discrimination. Mais surtout, il ne faut pas colporter que ce droit n’existe pas! L’ignorance transfère tous les pouvoirs aux contrevenants!
Ce contenu a été mis à jour le 23 août 2014 à 12 h 36 min.